La première chose que je vis en ouvrant les yeux fut ce magnifique champ de fleurs. Et que c'était beau ! Je me rappelle encore du vent qui faisait onduler les herbes folles et chanter ces immenses arbres. Personne à l'horizon, on aurait dit que la nature m'offrait un spectacle au mille couleurs. C'est ainsi que j'appris une des notions les plus importantes de la vie, notion qui ne s'apprend pas dans les livres : la liberté.

 Tout petit déjà, j'ai appris à me créer un monde idyllique dans lequel je prends un malin plaisir à m'échapper lorsque que l'envie me prennait. Le monde des rêves. J'ai toujours été lunatique, mais avant tout un petit très espiègle ! J'ai eu la chance d'atterir dans une famille merveilleuse, et de connaître ma sœur, Kaede. Kaede était une jolie Goupix pleine de joie de vivre qui aimait me conter  tout les bienfaits de la vie. Je me rappelle encore toutes ses heures passées à ganbader, rire dans la nature ! C'était ça la liberté. Kaede m'incitait toujours à regarder autour de moi, pour admirer la beauté de mère nature.

 J'ai toujours été avide d'aventure, espiègle et courageux, quand je n'étais pas plongé dans mon monde à moi. Je crois que c'est à cause de ça que nous nous retrouvèrent seuls dans la forêt pendant une nuit sans lune. Kaede et moi s'étions aventurer beaucoup plus loin que nos âges le permettaient, et l'obscurité avait fini par se refermer sur nous. C'est alors que le silence devint la plus terrible des choses et la panique le plus horrible sentiment. Où était passés le doux souffle du vent, les odeurs ennivrantes et le bruit appaisant des broussailles qui ondulaient ? Maintenant ne résonnait que des bruits suspects, des craquements de branches ou encore un le hululement d'un hibou. Je me souviens que ma soeur m'avait glissé à l'oreille :


 J'avais mainte fois essayé d'entrer dans mon petit monde, la lumière à laquelle je me raccrochais, en espérant que quand je rouvrais les yeux, je reverrais la douce clarté du soleil et le sourire de mes parents. Mais non, le noir persistait, s'accrochant à moi comme une puce. Kaede avait arrêté de me dire des mots doux, plutôt occuper à tenter de chasser ses propres peurs. Soudain, on entendit un bruit sourd, semblable à un hurlement. Ma soeur et moi furent paralysés sur place, impuissant. Une masse énorme s'approchait. Je laissa éclater un sanglot dans un hoquet. Mais Kaede resta forte, et lança d'une voix fluette mais déterminé une pique.


 Le chaos. Ce mot résonnait dans ma tête. Les larmes dévalaient mes joues comme des torrents tandis que des cris perçaient le silence nocturne. Je pouvait apercevoir le reflet d'une griffe, des traces de sang et ses odeurs métalliques, ou encore un regard glacial. Les cris de ma soeur me martelaient mon petit coeur d'enfant. Caché lâchement dans un bosquet, je voulait que ça s'arrête, je ne savait pas depuis combien de temps le monstre avait surgit mais c'était bien assez. A la clarté de l'aube, je pouvais finalement apercevoir ses traits. Une peau dure, des griffes accérées, un regard emplit de haine, une couleur rouge et bleue... Un Drakkarmin. Et le corps de sa soeur baignée dans une mare rouge, déformée.


 J'avais obéis à ma soeur. Mais au fond de moi, mon coeur déchiré me soufflait que je l'abandonnais salement à sa mort. J'étais en duel avec moi même, mais la tristesse avait finie par l'emporter. Sale, recouvert d'un sang qui n'était pas le mien, je trouva une clairière semblable à celle où ma soeur et moi avions l'habitude de jouer. Un coquelicot s'était épanoui dans ce champ, mais était seul. Cette fleur me rappela une fois de plus Kaede. Fou de tristesse, encore petit et frêle, je laissa éclater mon malheur. Ce matin là, comme possédé, je me lança dans une sorte de danse funeste en pleurant à chaude larmes. Puis je chantais, puis riais. Je laissais libre court à mes émotions. Sûrement la folie, attirée par les blessures d'un être frêle.


 Le matin, ou plutôt en début d'après-midi, je me réveilla. Je ne sais pas pourquoi cette remarque de ma soeur me vint à l'esprit comme ça, mais cela me fit sourire. Peut-être que ma danse du petit matin avait été le signe que la folie commençait à s'immiscer en moi, ou tout simplement un besoin. En tout cas, je n'avais pas à me justifier, je me sentais mieux. Mais en me levant, je sentis comme un changement en moi. En effet, je me sentais plus grand. Non, pas dans ma tête, mais bel et bien physiquement. Mes pattes minuscules s'étaient un peu aggrandies, et mon corps était devenu étrangement élancé. Mais ce qui me fit bondir d'excitation, c'est que camper sur mes pattes arrières, je pouvais voir jusqu'à l'horizon. Je ne savais pas comment je n'avais pas pu remarquer cela, mais j'avais évolué.


 J'avais continué mon chemin, espérant retrouver ma Tribu. Mais une question me torturait : Que feraient-ils quand ils verront que c'était ma faute si Kaede était morte ? Je la chassa de mon esprit, bien décidé de ne plus penser aux mauvaises choses. Et c'était pour mon bien, car sinon je sentais que j'allais vraiment péter un câble. Je lui avais promis de survivre, de sourire, d'être heureux en la laissant, c'est en tout cas ce que je me persuadait. Comme je l'avais fait des milliers de fois avec elle, je prenais le temps de regarder le paysage, les fleurs qui poussaient sous le soleil printannier... Il fallait que je sois en paix avec moi même, comme cette petite voix me l'avait soufflée.



 Je n'avais pas compris pourquoi elle me disait cela -car oui, j'étais sûr que c'était l'âme de Kaede qui me soufflait ses conseils, peut-être que j'étais bel et bien fou finalement-. Je me rappelle qu'elle me l'avait bien dit de son vivant, alors qu'on allait sentir le vent depuis un grand rocher situé au camp, cette phrase qui m'avait mis si mal à l'aise. Ce qui m'avait frappé, c'était surtout ce regard triste qu'elle m'avait lancé en me disant ça. J'espère comprendre un jour. Mais pour l'instant, j'avais trouvé la compagnie d'une magnifique Feunard qui m'avait nourri et proposé son aide. Elle était comme ma soeur, belle, douce,... et surtout, c'était son évolution. Je me demandais si ce n'était pas un signe d'un destin ironique. Dans tout les cas, je lui faisais confiance.
 Cette nuit là, comme depuis une semaine, aucune voix douce ne m'avait apporté ses conseils. Mais encore et toujours le même, cette mise en garde résonnait dans ma tête inlassablement. Peut-être ma soeur m'en voulait ? Cette idée m'attrista. C'était grâce à cette jolie solitaire que j'avais retrouvé la Tribu, et que je dormais dans mon nid cette nuit là. Les membres s'étaient montré compatissant, et étaient partit à la recherche du cadavre. Pendant ce temps là, ma mère, une Némélios pourtant belle et forte, était tombée malade. La tristesse n'arrangeait rien, et notre Espilon affirma qu'elle sombrait dans la folie. Peut-être que c'est pour cette raison qu'elle m'avait craché à la figure des mots horribles. Je te renie, je te renie.


 C'est exactement ce que je ressentais. Pourquoi cela ne m'avait rien fait quand ma mère m'avait lancé ça ? De même, pourquoi ai-je souri, comme si on m'avait raconté une blague lorsqu'elle perdit la vie ? Détraqué. Ce mot m'apparut soudain très approprié pour me décrire, je ne me reconnaissais plus. D'ordinaire hyperactif et blagueur, je replongeais de plus en plus dans mon petit monde. Celui où tout était beau et que ses seuls occupants étaient moi et ma soeur. Je repensa à sa mise en garde vis à vis des autres. Peut-être qu'elle voulait être la seule dans ma vie, -ce que je ne concédais pas- ou tout simplement me protéger. A vrai dire, si j'étais vraiment détraqué, il ne fallait mieux pas être en contact avec les autres. Soudain, la vérité m'apparut comme si elle venait de me mettre une gifle : L'amour et l'amitié sont trompeurs, si je m'attache et que cette personne disparaît comme Kaede a disparue, je ne serais pas sûr de m'en remettre. J'éclata de rire, avant de me taire, gêné. J'aurais dû verser une larme en arrivant à cette conclusion, et non avoir cette réaction déplacée.


J'avais décidé de croquer la vie à pleine dents. Après tout, je ne voyais pas ce qui m'empêchais d'être heureux. Je savait que ma sœur veillait sur moi, et qu'Arceus, cet être tout puissant ne pouvait concevoir de me blesser plus que je l'étais. C'est en tout cas ce que j'essayais de me convaincre. Car ce sentiment bizarre tout au fond de moi, d'être brisé, cassé, risquait de faire surgir une folie non désirée. Hors de question que je sombre là-dedans. Est-ce que je me mettrais à devenir violent, ou pire, à mépriser les croyances de ma sœur et moi ? Je préférais largement souffrir en silence de ma solitude et continuer de sentir cet air frais sur mon pelage par la brise du petit matin.

Être libre, en somme.